Les critiques :
André RUELLAN
Charles MADÉZO
René GUIGNARD
Denise DELOUCHE
Yvon EURIEULT
Jacques JACOB
Charles JULIET
Alain LE BEUZE
Brigitte LE CAM
Renée Samouël
Claire Raffenne

Du semblant au faire

L'œuvre de Jean-Pierre Baillet m'a d'abord intriguée de loin : c'était par une toute petite photographie qui illustrait la présentation de son exposition à Inzinzac-Lochrist en 1991, dans le cahier guide édité par les musées de Bretagne; elle m'a donné envie de l'y aller voir et j'ai aimé l'ensemble. Pourquoi? Ce n'était pas le noir qui encadre, enferme et valorise, qui donne austérité, profondeur et unité à l'ensemble; ce n'est pas l'éclat des couleurs : les tons du papier kraft, les ocres rouges et jaunes et les terres dominent, même si un vermillon surgit ça et là des opacités environnantes; ce n'est pas, à l'évidence le sujet, car les œuvres de Jean-Pierre Baillet ne racontent rien au sens anecdotique du terme, ni même les compositions qui, répétitives, jouent presque toutes sur le rectangle du format-fenêtre qui s'ouvre dans les noirs; non, c'est la force d'appel de tous ces signes mystérieux qui animent la surface, déchirures et griffures, gravures et empreintes, poinçons et bouchardes révélées, avec toute la présence sensible de la main qui marque, et du geste qui vivifie. C'est sans doute l'attrait du semblant et du faire tout à la fois.

Cela ressemble à de vieux documents usés, rayés, lentement rongés par un temps séculaire; on a envie de les déchiffrer, mais la paléographie la plus savante y est impuissante; les signes d'une écriture se dérobent; ce serait plutôt des traces dues au hasard, laissées par des gestes machinaux liés à l'usage, insidieux et routiniers, qui finissent par faire apparaître des couches de peintures successives et insoupçonnées. Les œuvres de Jean-Pierre Baillet semblent perpétuer le souvenir d'innombrables actes banals, que des générations auraient répétées, sans y penser, sur les mêmes supports, alors qu'on est tenté de les prendre comme des tablettes antiques ou des palimpsestes, que l'archéologie à la recherche des temps perdus tente de déchiffrer dans leurs strates effacées... des palimpsestes préhistoriques, d'avant l'écriture... ou de faux palimpsestes du quotidien...

Mais tout cela est semblant, et on le sait, ces œuvres sortent de l'atelier, elles sont signées et datées au dos et notre attrait porte alors sur le faire : comment Jean-Pierre Baillet réussit-il à faire émerger le temps de façon si palpable? Ces œuvres gardent et offrent à la vue la mémoire, mais une mémoire d'un temps relativement court (même si au regard de certaines formes gestuelles de la création contemporaine, la fabrication de ces pièces est longue et lente). Supprimant tout mystère, Jean-Pierre Baillet a expliqué comment il fait tout cela, avec des ressouvenirs de divers métiers du bâtiment que lui ou ses parents ont pratiqués, accumulant d'abord les enduits, les couches et les colles, jusqu'à douze et vingt, dit-il, en accueillant éventuellement dans cette sédimentation matériologique des empruntes ou marques de l'outil, passant ensuite à la phase soustractive, enlevant, effaçant, rayant, usant... Maître d'une érosion dans laquelle la résistance des couches joue moins que la nécessité de faire surgir une lumière aléatoire de quelque ocre profondément enfouie, et le peintre en grattant, de les mettre en valeur, en en faisant l'axe de sa composition, en les cadrant... Etroite imbrication du faire volontaire dans la phase accumulative et de l'aléatoire dans les risques de l'effacement... L'œuvre de Jean-Pierre Baillet, sous des airs de faux grimoires fait partager le sens du temps, celui de l'artisan et de l'artiste qu'il est tout à la fois.

Denise Delouche, historienne d'art
15 mai 1993

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