Les critiques :
André RUELLAN
Charles MADÉZO
René GUIGNARD
Denise DELOUCHE
Yvon EURIEULT
Jacques JACOB
Charles JULIET
Alain LE BEUZE
Brigitte LE CAM
Renée Samouël
Claire Raffenne

Comme Rimbaud à l'orée du bois, on marque l'arrêt : "il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte, il y a un oiseau qui chante. Son chant vous arrête..." Dans ces guenilles d'ors et de pourpre, un monde se propose, présent, intense sous les traces qu'il laisse affleurer, et qui très loin en nous étrangement résonnent. "Il y a une horloge qui ne sonne pas."

C'est peut-être la clef : l'alchimiste Baillet, usant de glus et de savants empois - personne ne le croit quand il décrit ses colles de peaux de lapins - a su piéger le temps dans des matières lumineuses et troublantes.

Peut-être le lustre des vieux bois de portes rongés de vers ? Les cuirs corroyés qui scellaient les grimoires ? Ou des brocarts ? Des chasubles en lambeaux ? On évoque Byzance, des fastes, des liturgies d'un autre temps.

On sait pourtant que Jean-Pierre Baillet travaille en l'an 1997 à Lanvaudan. Et que les mânes de Wols et de Rothko tremblent dans l'ombre sous les pigments. On revient alors au travail de l'artiste, à cette fascinante obstination de l'artisan.

On l'imagine attentif aux lentes révélations de la matière - mode court, mode long comme pour d'autres la voie humide et la voie sèche - à ses enduits, ses colles, ses pièges a pigments. Matière à rêves, qu'il a savamment fécondée de lumière dont il délivre, fervent et inquiet, dans l'opulence et la splendeur, les rythmes et les transparences.

Matière à doute, aussi, que révèlent les déchirures, les ombres, les cicatrices.

Cette ferveur, c'est peut-être la fièvre de faire venir au jour ces blancs d'os que dissimule entre colles et pigments l'extrême munificence des portes et des tentures. C'est l'os qui m'intéresse. Dans ces bois, le cercueil, dans ces tentures, le linge à border les momies. Le tissu sacré imprégné d'argile et de sang. Le voile maculé d'ocre de Véronique.

Car le temps piégé c'est aussi la mort que depuis toujours l'homme occulte sous les lamés, les velours Mais la mort, cendre et poussière, est aussi trace, ce lent amalgame où coagulent en savoir la matière et le temps.

Les traces ici sont celles des outils du père, truelle et boucharde de compagnon scellées dans la lumière qui, sûrement, poursuivent l'œuvre dans les interstices.

C'est l'ambiguïté et la richesse du tableau d'évoluer sous l'enluminure de détenir dans son tréfonds le secret simple et violent qui lie la mort avec la vie dans un inépuisable épanouissement.

En Afrique, Baillet serait griot, sorcier voué aux fétiches qu'on enrobe de mucosités, de glaires et de sang de toutes les matières du sacrifice - ce n est pas un hasard, ces colles animales ! - Le soleil avec l'argile tient lieu de liant et les doigts du sorcier, et les outils du sacrifice usent et lustrent le talisman, lui donnent chair et peau, lumière et ombre. Le fétiche devient devin, intercesseur entre ciel et terre.

Baillet est Celte. A chaque peuple ses talismans. Ses toiles sont celles d'un chaman qui d'abord nous séduit par la splendeur et le raffinement puis nous propose d'écarter le voile, de pousser la porte pour entrevoir sous l'apparence ce qui subsistera peut-être dans l'au-delà du temps.

Charles MADÉZO, écrivain
Juillet 1997

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